Bref Résumé
Cette vidéo offre une analyse approfondie de la Chine contemporaine, en explorant sa vision du monde, son système politique, ses ambitions et ses défis. André Chieng, expert basé à Pékin, partage ses perspectives sur la manière dont la Chine se perçoit, son fonctionnement interne, sa vision de l'état du monde et les enjeux géopolitiques auxquels elle est confrontée.
- La Chine n'est pas un pays religieux au sens occidental du terme, privilégiant l'équilibre et l'optimisation plutôt que la maximisation.
- Le pouvoir en Chine est à la fois centralisé et décentralisé, avec un système politique unique influencé par le marxisme et la tradition impériale chinoise.
- La Chine a une vision organique du monde, cherchant à s'adapter et à évoluer avec le temps, tout en poursuivant son objectif de réunification avec Taïwan.
- La Chine ne cherche pas à dominer le monde, mais à sécuriser son développement et à construire un modèle alternatif, tout en étant consciente des tensions avec les États-Unis et de la nécessité d'éviter le piège de Tucidide et le piège de Kindleberger.
- La France et l'Europe ont un rôle important à jouer en tant que contrepoids politique aux États-Unis, en utilisant la Chine comme levier pour défendre leurs intérêts et promouvoir un ordre mondial multipolaire.
Introduction
André Chieng, d'origine chinoise mais né et ayant grandi en France, partage son parcours et son expérience en tant que conseiller auprès d'entreprises françaises en Chine depuis près de 40 ans. Il explique comment il s'est efforcé de comprendre et d'expliquer la Chine à ses clients, en simplifiant un pays souvent perçu comme complexe. Il souligne l'importance de comprendre la Chine pour appréhender sa place dans le monde et son rôle déterminant pour l'avenir.
Comment la Chine se pense elle-même ?
La Chine ne se définit pas par ce qu'elle est, mais par ce qu'elle n'est pas. Elle n'est pas un pays religieux au sens occidental du terme, car elle ne connaît pas le fait religieux et est étrangère aux religions du livre. Les Chinois ne partagent pas l'obsession occidentale pour la vérité, mais s'intéressent davantage aux changements et aux mutations, comme illustré par le Yi Jing (Livre des Mutations). La culture chinoise privilégie l'équilibre entre le yin et le yang plutôt que la lutte entre le bien et le mal. Contrairement à l'Occident, qui recherche la maximisation, la Chine recherche l'optimisation et l'équilibre.
Le fonctionnement du pouvoir chinois
La Chine est à la fois un pays très centralisé et très décentralisé. Elle a su maintenir son empire unifié à travers les siècles grâce à un système de formation des fonctionnaires impériaux (l'équivalent de l'ENA) qui leur permettait de faire face à toutes les éventualités. Les fonctionnaires étaient formés pour réagir de manière uniforme et cohérente, assurant ainsi la stabilité de l'empire.
Liberté, efficacité, démocratie : un autre imaginaire politique
La culture chinoise, comme d'autres cultures asiatiques, privilégie le groupe par rapport à l'individu. La notion d'individu n'est pas absente de la société chinoise actuelle, mais la Chine cherche un équilibre entre l'individu et le groupe. La Chine ne méprise pas les droits de l'homme, mais n'accorde pas nécessairement la même importance à tous les éléments qui les composent. Elle privilégie les droits économiques et sociaux, tels que le droit de manger, de vivre, d'avoir un salaire et un travail, plutôt que la liberté politique et la liberté d'expression.
Vision chinoise de l’état du monde
La Chine est le résultat d'une fusion entre la doctrine marxiste et la tradition impériale chinoise. Le régime chinois actuel est perçu comme une dynastie, avec une vision organique du monde où tout évolue comme les plantes : naissance, croissance, maturité, déclin et renaissance. La Chine n'a pas l'obsession de la vérité et ne croit pas en un modèle absolu de perfection politique. Elle adapte le marxisme-léninisme à la réalité chinoise, à sa géographie, à son peuple et à l'évolution du temps. Le marxisme chinois est darwinien, cherchant à s'adapter pour perdurer.
Bilan de la montée en puissance chinoise
Les élites chinoises sont convaincues depuis longtemps qu'une rivalité entre la Chine et les États-Unis est inévitable. Les États-Unis, en tant que puissance dominante, ne veulent pas céder leur place à la Chine. Cependant, la Chine ne tient pas spécialement à être le dirigeant du monde. Elle est consciente du piège de Tucidide (la guerre entre une puissance dominante et son challenger) et du piège de Kindleberger (l'absence de leadership mondial). La Chine ne veut pas remplacer les États-Unis, mais elle ne veut pas non plus être soumise à eux.
Fragilités internes : consommation, immobilier, modèle de croissance
La Chine prouve qu'elle ne veut pas dominer le monde par deux faits historiques : les voyages d'exploration de l'amiral Zheng He au XVe siècle, qui n'ont pas conduit à la création de colonies chinoises, et la politique de l'enfant unique, qui visait à limiter la croissance démographique pour éviter de dépasser les capacités du territoire chinois. La Chine applique la stratégie de l'eau, prenant silencieusement la place que les États-Unis abandonnent, sans agressivité.
États-Unis vs Chine : lecture d’un bras de fer
Les nouvelles routes de la soie sont un concept vide qui doit être rempli avec ce qui est le plus adapté pour relier les nations entre elles. La Chine souhaite être connectée au reste du monde et ne pas être dépendante d'une seule nation. Elle a mis en place une politique de sécurisation des ressources, comme les terres rares, pour ne pas être forcée de faire quelque chose qu'elle ne veut pas. La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump est une guerre que la Chine est préparée à mener, car elle a pris des mesures discrètes mais efficaces depuis 2018.
Complémentarité ou découplage ?
La Chine a la possibilité de compenser les exportations vers les États-Unis en augmentant sa consommation intérieure et en développant ses exportations vers d'autres pays. Les États-Unis, en revanche, auront du mal à compenser les importations en provenance de Chine. La Chine n'a aucune intention de remplacer le dollar à court terme, car elle est consciente des contraintes que cela impliquerait et des risques que cela engendrerait.
L’Europe dans le regard chinois
La Chine a toujours voulu que l'Europe soit un contrepoids politique aux États-Unis. Elle a été l'un des premiers pays à envoyer un ambassadeur auprès de l'Union européenne. Cependant, la Chine considère que l'Europe manque de puissance en raison de son manque d'unité. L'Europe a tout intérêt à utiliser la Chine comme contrepoids possible à l'hégémonie des États-Unis, en utilisant la Chine comme une alternative et un contrepoids à la politique agressive des États-Unis.
Russie, Afrique, Sud global
La Chine et la Russie ne constituent pas un bloc inséparable. Il n'y a pas d'amitié éternelle entre les deux pays. La Russie occupe toujours une partie du territoire chinois. Le rapprochement actuel entre la Chine et la Russie est le résultat de la politique américaine. La Chine est amie avec la Russie, mais elle est aussi amie avec l'Ukraine. La Chine n'a jamais reconnu l'annexion de la Crimée par la Russie. La Chine craint que la Russie ne se joigne au bloc anti-chinois constitué par les États-Unis et leurs alliés.
Conflits actuels : Ukraine, Gaza
La Chine fait tout pour éviter que la Russie ne se joigne au bloc anti-chinois constitué par les États-Unis et leurs alliés. Elle cherche à maintenir des relations équilibrées avec tous les pays, en évitant de prendre parti dans les conflits.
Que faire ? Pour l’Europe, pour les citoyens
La France et la Chine ont beaucoup de choses à se partager. Elles ont en commun une notion de service public et une volonté de ne pas être dominées par les intérêts commerciaux. La combinaison des talents français et chinois pourrait créer quelque chose d'irrésistible.
Ce qui inquiète et ce qui donne espoir
La qualité de la relation entre la France et la Chine est en train de changer de façon importante. La guerre commerciale généralisée est une situation perdant-perdant. Il est important d'aplanir les difficultés et de reprendre une course beaucoup plus favorable pour les deux pays.
Recommandations de lecture
André Chieng recommande les livres de François Jullien, philosophe français qui a le mieux analysé les cultures chinoise et française, ainsi que le livre "De la Chine" d'Henry Kissinger. Il suggère également "La Bureaucratie Céleste" d'Étienne Balazs et "L'Ancien Régime et la Révolution" d'Alexis de Tocqueville.